Lors de l'ascension, il fallait chercher passage de voussure en trumeau, détecter dans la pénombre les lignes de force de l'église comme on cherche les lignes de faiblesse sur une paroi de granit.
✧→ Les aiguilles rocheuses - celles de Rebuffat - procèdent du combat entre la pousssée tectonique et la volonté du ciel d'empêcher la terre de se jucher à lui. Mais les antennes des cathédrales, elles, sont l'oeuvre de la foi des hommes. Ou de leur vanité. Ou peut être des deux puisque la foi, c'est la vanité de croire qu'on est la créature d'un dieu. C'est lorsqu'on arrive au sommet d'une flèche qu'on ressent la tension architectonique de la cathédrale. Une église gothique est un accélérateur d'énergie : chaque contrefort de soutien exerce une pression sur les pans de murs, le biseau des paliers. Chaque niveau s'élève en appentis, telles les marches d'un escalier. Plus les murs prennent de la hauteur, plus ils s'écartent les uns des autres : ils voudraient basculer en arrière comme les quartiers d'une orange ouverte mais les arcs-boutants corrigent l'accrétion en les repoussant l'un vers l'autre. Les forces ainsi contrariées sont détournées vers le haut et fusent par les veines de l'édifice - colonnes et voussures - pour se rejoindre au sommet de l'oeuvre, jaillissant à la croisée des transepts dans le giclement de la flèche. Une flèche est un geyser de sève minérale. Les moellons de l'édifice entier, parcourus par les flux montants, sonnent comme le cristal si on les frappe de l'ongle : ils sont aussi tendus que les cordes d'une harpe.
Petit traité sur l’immensité du monde.
Sylvain Tesson - géographe, aventurier, ancien stégophile.
Notre Dame de Paris depuis la Tour d'Argent.
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