Episode 2
A chacun, son chronomètre ...
Qu'est-ce que le temps ?
'Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus.' Saint Augustin (354 – 430)
De l'espace et du temps, ce dernier est très certainement le plus délicat et le plus difficile à cerner. En fonction du contexte dans lequel on l'emploie, le temps prend des significations très différentes, prendre son temps, perdre son temps, passer son temps, avoir le temps, tuer le temps, en un rien de temps, et bien d'autres encore …
🧭 Certains accordent au temps un caractère perpétuel qui les positionne comme des voyageurs dans le temps, alors que d'autres accordent au temps un caractère éphémère, son existence ne se limitant qu'au seul instant présent, ce qui les amène à dire que le temps défile devant eux. Mais comme on le voit, cette problématique fait endosser au temps une notion de temporalité, ce qui conduit à le définir en fonction même de ce que l'on cherche à définir. C'est bien là le paradoxe du temps.
Pour clôturer cette introduction, voilà une définition du temps qui me plait bien : "Un milieu indéfini et homogène dans lequel se situent les êtres et les choses et qui est caractérisé par sa double nature, à la fois continuité et succession".
Qu'est-ce qu'un événement ?
“Les événements sont l’écume des choses.” Paul Valéry (1871 - 1945)
Dans le Larousse, un événement est un "phénomène considéré comme localisé et instantané, survenant en un point et un instant bien déterminés".
D'après cette définition, on voit qu'un événement est lié à l'espace et au temps.
Un point de l'espace pris seul ne suffit pas à qualifier la position d'un objet. Comme on l'a déjà vu dans l'épisode précédent, on se doit tout d'abord de fixer un référentiel comme cadre pour définir ses coordonnées dans l'espace. On peut répertorier la position d'un objet seulement si on se place dans un référentiel. Mais ce n'est pas suffisant.
On a vu qu'un objet est immobile dans son référentiel "propre" mais qu'à contrario il se déplace dans tous les autres référentiels. En dehors de son référentiel propre, il suit donc une trajectoire dans l'espace, on pourrait même dire qu'au cours du temps il 'est' une trajectoire.
Au sein d'un référentiel, il faut donc ajouter la dimension du temps aux coordonnées spatiales d'un objet pour arrêter sa position, d'où le concept d'évènement. Même si un événement existe et ce de manière indépendante à tout référentiel, il est caractérisé par une position dans l'espace ainsi que par une position dans le temps, sous entendu relativement à un référentiel donné.
Ci-dessous, un schéma représentant la ligne d'univers d'un objet. Elle est la trace de l'ensemble des événements arrivés à cet objet. A ne pas confondre avec la trajectoire d'un objet qui est le déplacement de l'objet dans l'espace. Sur le schéma, l'espace est représenté en une dimension.
La ligne d'univers d'un objet
Le temps est-il une illusion ?
"Il y a trois temps : Le présent du passé, c'est la mémoire ; le présent du présent, c'est l'intuition directe ; le présent de l'avenir, c'est l'attente." Saint Augustin (354 – 430)
On sait qu’Einstein a souvent affirmé que "le temps est illusion". Et en effet, le temps tel qu’il a été incorporé dans les lois fondamentales de la physique, de la dynamique classique de Newton jusqu’à la théorie de la relativité et la mécanique dite quantique, n’autorise aucune distinction entre le passé et le futur. En physique, le temps n'est qu'une construction qui permet de mesurer l'évolution d'un système, seule compte la durée.
La durée est la grandeur physique qui mesure la distance temporelle entre 2 instants, on a l'habitude de la mesurer en secondes. On garde une trace de l'instant initial en déclenchant un chronomètre et une trace de l'instant final en arrêtant le même chronomètre. Un chronomètre est chargé de mesurer la durée séparant ces 2 événements.
Définition de la seconde
Dans la représentation commune du temps, la dimension temporelle est cependant souvent symbolisée par une droite et le temps est matérialisé par des points, chaque point se rapportant à un instant. On représente les durées par des distances spatiales. Mais cette représentation du temps peut nous tromper. Une droite fige les instants et gomme leur caractère évanescent. Tous les instants sont présentés en même temps et sont matérialisés par et sur cette droite, alors que les instants ne sont pas tangibles, l'instant présent n'est pas palpable, il n'est qu'une limite entre ce qui n'est plus et ce qui n'est pas encore, l’instant présent "ne peut être qu’en cessant d’être".
Autant l'espace avec la matière qu'il contient est manifeste, autant le temps fait partie de notre psyché. La notion de présent germe dans notre esprit, et se révèle en premier lieu au travers d'une projection mentale.
Saint-Augustin en parlant de notre conscience disait d'ailleurs qu'il y avait un présent des choses passées, un présent des choses présentes, et un présent des choses futures.
Le cours du temps
"Mon passe-temps favori, c'est laisser passer le temps, avoir du temps, prendre son temps, perdre son temps, vivre à contretemps." Françoise Sagan
Parler du cours du temps est ambiguë et pourrait laisser supposer que le temps a un caractère perpétuel. Les instants passés seraient-ils encore et les instants futurs seraient-ils déjà ? Nous avons déjà abordé cette question au début de ce billet en se demandant si c'est nous qui progressions dans le temps ou si c'est le temps qui défilait. La question n'est pas tranchée, loin de là … il faudrait savoir ce qu'est le temps. Toujours est-il que nous avons tous conscience que le monde change, que ce qui 'est' n'est plus ce qui 'était', que ce qui 'est' n'est pas encore ce qui 'sera'.
Essayons cependant de qualifier le cours du temps … Comme un effet ne peut pas rétroagir sur sa cause, le cours du temps n'est pas cyclique, il ne peut être que linéaire, et comme une cause précède toujours ses effets, le cours du temps est orienté pour aller du passé vers le futur. Nous évacuerons ici toute problématique de causalité immanente, ce qui nous ramènerait à la question de l'origine du monde.
On peut tout simplement conclure que le principe de causalité donne une direction linéaire au temps et qu'il semble impossible d'influer sur un événement du passé.
Par nature, le cours du temps rend le temps irréversible. Nous sommes tous emportés par le temps, et il semble impossible de remonter à sa source pour connaître son origine ni même ce qui l'anime. Le moteur du temps est et restera un grand mystère, jusqu'à la nuit des temps.
Roman Opalka. Son dernier nombre sera 5607249
La flèche du temps
“Le temps n'a qu'une réalité, celle de l'instant. Autrement dit, le temps est une réalité resserrée sur l'instant et suspendue entre deux néants.” Gaston Bachelard
⎋ La flèche du temps quant à elle correspond à l'irréversibilité de certains phénomènes physiques.
Mais attention, à contrario réversibilité de certains phénomènes ne veut pas dire pour autant possibilité de remonter le cours du temps, nous avons vu que le temps est irréversible. La réversibilité des phénomènes veut tout simplement dire que l'évolution d'un système peut se faire dans les deux sens, si de l'état initial d'un système vous arrivez à un état final, de cet état final vous pouvez revenir à son état initial.
Imaginez regarder un film, vous pouvez dire que son histoire est réversible si pour votre 'sens commun' elle est 'vraisemblable' aussi bien en la faisant défiler vers l'avant que vers l'arrière …
Ce film est réversible ...
Celui là, ne l'est pas.
On peut ainsi adopter deux points de vue pour examiner la flèche du temps :
➤ Sous l'angle macroscopique, on entre alors dans le domaine de la thermo-dynamique d'où émerge une grandeur physique que l'on appelle l'entropie, grandeur qui permet de mesurer le degré de désordre d'un système isolé. En thermo-dynamique, l'entropie d'un système ne peut qu'augmenter.
➤ Sous l'angle microscopique, et là on entre dans le champ de la quantique où au niveau des particules l'observation et l'environnement de la particule forcent tout système quantique à se positionner. En mécanique quantique, il n'est pas possible de revenir à l'état initial d'un système après qu'il ait été mesuré. Comme disent les physiciens, la mesure force l'état du système à l'état mesuré. Dans l'interprétation de 'Copenhague' les états 'sans valeur bien définie' ne sont plus accessibles après une mesure, ils ont été comme effacés de notre réalité.
Notre vision du monde ne peut donc que confirmer l'existence d'une flèche du temps, alors qu'au niveau de sa description physique la flèche du temps n'est pas utile. C'est un des caractères paradoxaux et fondamentaux lié à la nature.
En physique, on formalise l'évolution des systèmes au travers de la variable "t" et les équations liées à cette variable sont réversibles. On peut se demander comment Newton a choisi cette variable et pourquoi il l'a appelée temps alors qu'il aurait très bien pu l'appeler 'truc'.
Au final, serions nous victimes d'une polysémie entre le temps utilisé par les physiciens et le temps tel que nous le percevons, perception qui nous donne conscience qu'il existe un passé, un présent et un futur ?
Le temps est uniforme
En conséquence, le temps employé par les physiciens se limite à une succession d’instants homogènes.
Formulé autrement, ils sont de même nature, superposables et substituables les uns aux autres.
Le temps ou 'truc' ne change pas au cours du temps.
• Invariance des lois de la physique
En physique quelque soit l'instant, on postule que les lois qui gouvernent le monde sont les mêmes. Dans les mêmes conditions, ce qui s'est passé il y a 10, 20 ou 30 millions d'années est transposable et reproductible dans ce que nous appelons le présent.
La conservation de l'énergie est un principe physique selon lequel l'énergie totale d'un système isolé est invariante au cours du temps. L'uniformité du temps garantit cette conservation.
Le temps est relatif !
A la fin du 19ème siècle, on s'est rendu compte que les équations de Maxwell qui gouvernent l'électromagnétisme ne sont pas invariantes par changement de référentiels galiléens. Lorentz proposa une transformation qui garantissait leur invariance. Pour cela, il fut obligé de définir pour un événement, un temps différent en fonction du référentiel dans lequel on se positionne. Cela l'a amené à dire que, tout comme les valeurs des coordonnées spatiales d'un événement sont amenées à changer en fonction du référentiel, la valeur de sa coordonnée temporelle l'est tout autant. Le temps est relatif !
Un événement est ainsi caractérisé par des coordonnées spatiale et temporelle différentes en fonction du référentiel galiléen dans lequel on se positionne.
Dans des référentiels différents, un même événement a pour coordonnées
☞ E = (x,y,z,t) dans le référentiel G
☞ E = (x',y',z',t') dans le référentiel G'
Le temps n'est pas absolu !
"Le temps est disloqué. O destin maudit, Pourquoi suis-je né pour le remettre en place !" Hamlet (1601) de William Shakespeare
Qu'est ce que cela veut dire ? Pour moi, pour vous, pour n'importe qui, on peut se demander quel est notre rapport au temps. Je suis, vous êtes, nous sommes tous conscients que nous vivons et qu'inexorablement nous vieillissons. Toutes les secondes nous vieillissons d'une seconde. La question est de savoir si nous vieillissons tous de la même manière. Bien sûr que non me direz vous, il y en a qui vieillissent mal ... mais ce n'est bien sûr pas de ça dont je veux parler, ce qui nous intéresse c'est de savoir si nous vieillissons tous au même rythme. Maintenant que nous savons que le temps est relatif, qu'est ce que cela veut bien vouloir dire pour nous ?
Si je prends le train pour aller à Lyon, je vais monter dans un wagon à Paris et descendre de ce même wagon à Lyon. Dans le référentiel du train, moi et ma montre n'avons pas bougé, alors que dans le référentiel de la gare moi et ma montre avons parcouru 400 km.
Les distances sont bien relatives au référentiel et nous l'avons vu dans l'épisode relatif à l'espace.
Même s'il est moins intuitif, le constat sur les distances s'applique également aux durées. Aussi surprenant que cela puisse paraître, pendant ce trajet, le temps dans le train s'est écoulé moins vite que le temps qui s'est écoulé dans la gare. J'ai moins vieilli que si j'étais resté à Paris. Entre le départ et l'arrivée, et même si le décalage est infime, l'horloge de la gare de Paris et ma montre se sont désynchronisées, ma montre a pris du retard. Le tic-tac de ma montre a battu moins rapidement que le tic-tac de l'horloge de la gare.
Dans le référentiel, l'objet est mobile alors que l'observateur est immobile. Comme pour la distance spatiale, vu du référentiel, observateur et objet ont leur propre distance temporelle. Les 2 chronomètres ne donnent pas la même mesure.
Dans le film “La planète des singes”, des astronautes partent pour un voyage intersidéral à une vitesse proche de celle de la lumière. Pour eux, ce voyage a duré 6 mois, il s'est écoulé 6 mois alors que sur Terre il s’est écoulé 700 ans.
Le temps n'est pas absolu
Cependant, il faut faire attention de ne pas commettre l'erreur de croire que notre rapport au temps serait différent d'un référentiel à un autre. Pour chacun d'entre nous, le temps reste le temps, quelque soit le référentiel dans lequel on se place 1 seconde dure 1 seconde. Le temps 'propre' est porté par la ligne d'univers et ce en dehors de tout référentiel.
Si notre voyageur astronaute visionne un film de 50 minutes, à la fin du film le cadran de sa montre indiquera qu'il s'est écoulé 50 minutes. Si son frère terrien regarde le même film, le cadran de sa montre indiquera également qu'il s'est écoulé 50 minutes. Par contre, avant qu'ils ne se retrouvent, le terrien pourra regarder beaucoup plus de films que son frère jumeau.
La désynchronisation ne porte que sur les temps relatifs à des référentiels différents - ou plus rigoureusement à des lignes d'univers différentes hors tout référentiel - et ce n'est que lorsque l'on rejoint le même référentiel, que l'on constate le décalage avéré entre les horloges.
Le temps n'est donc pas le même pour tout le monde, chacun a un temps 'propre', temps associé à son référentiel 'propre'. Pour rappel, un référentiel propre est le référentiel dans lequel un observateur est immobile. Le temps ne peut donc plus être considéré comme absolu. Il a fallu attendre le vingtième siècle pour le découvrir ...
Pour terminer, à chaque événement de notre référentiel 'propre', il existe un référentiel galiléen coïncident.
Dit autrement, au sein d'un référentiel galiléen, l'ensemble des observateurs immobiles ou se déplaçant à petite vitesse, ont le même temps propre ou presque.
Par extension, dans un référentiel galiléen le temps est le même. Votre montre et la mienne tictaquent 🧭 au même rythme, elles sont synchrones.
Dans un même référentiel galiléen, des événements différents ont comme coordonnées
☞ E₁ = (x₁,y₁,z₁,t) dans le référentiel G
☞ E₂ = (x₂,y₂,z₂,t) dans le référentiel G
Au sein d'un même référentiel galiléen, le temps est 'universel'. C'est le temps Newtonien.
🥂 En définitive, notre quotidien se satisfait fort bien du temps de Newton même s'il ne nous attribue qu'un temps 'universel', et non pas 'absolu'.
N'étant pas soumis à des vitesses relativistes, la physique nous laisse tout simplement et tous tranquillement vieillir de la même façon ...
Pour 'le' physique, vieillir voulant dire augmenter avec l'âge notre probabilité de mourir, c'est autre chose, nous sommes bien d'accord ...
Opalka prenait une photo à chaque fois qu'il terminait une toile.
Le temps et la quantique
Extrait d'une conférence d'Alain Connes. Médaille Fields en 1982.
L'espace et le temps
Lors du premier épisode, nous avions vu que l'espace est une construction géométrique qui permet de mesurer des distances et qu'il est relatif à un référentiel.
Au même titre que l'espace, nous venons de voir que le temps - le temps relatif à un observateur et par extension le temps relatif à chaque référentiel galiléen coïncident à chacun de ses instants présents - est une construction chronologique qui permet de mesurer des durées.
✧→ Ni l'espace, ni le temps, n'ont un caractère absolu. Le monde étant ce qu'il est, sa nature profonde ne peut pas dépendre du choix arbitraire d'un référentiel. Par conséquent, les lois fondamentales de la nature, ne peuvent que s'affranchir du caractère relatif de l'espace et du temps. Einstein se mettra rapidement en quête. Il cherchera une nouvelle construction pour sonder le monde en commençant par étudier plus finement l'espace et le temps, voir s'ils sont liés et si oui comment.
Ce sera le sujet de notre prochain billet.
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